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BRIÏANNIOUE
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BRIÏANNIOUE.
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CHOIX D'ARTICLES
TRADUITS DES .MEILLEURS ECRITS PERIODIQUES
SUR LA LITTÉRATURE, LES BEAUX-ARTS, LES ARTS INDUSTRIELS L AGRICULTURE, LA GEOGRAPHIE , LE COMMERCE, l'ÉCONOMIE POLI- TIQUE, LES FI>ANCES, LA LEGISLATION, ETC., ETC.;
Par MM. Saulnier Fils , ancien préfet, de la Société Asiatique, directeur delà Re,'ueBntanniçue;J)o^B^Y--DvvK±V\U, de la Société Aciatique- Charles Coquerel ; Ph.Chasles ; L. Am. Skdillot; West, Docteur en Médecine {p'^ur les articles relatifs aujc sciences médicales) ,'ctc etc
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Au BUREAU DU JOURNAL, Rue de GRENELLE-St.-HoNORÉ , No ^9; Chez DONDEY-DUPRÉ PÈRE ET FILS, imp. -lib.,
Rhc Rid.elicu , .\o .',- lis , ou ^a^ Saint-Lou.s , \o !^^\ , ^u Mam.s.
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IMPRIMEBÏF. DE OOfiBrr-DUPU»
MARS 1828
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REVUE
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LA REFOR9IATION EN ITALIE (i
vJu ét«iit la religion protestante avant Luther? deman- dent encore les docteurs de l'Église romaine. Dans la Bible , ont toujours répondu les réformés. La réponse est juste, mais on peut en faire une meilleure encore.
Dès le Berceau du christianisme , il a toujours existé une aggrégation de fidèles aussi cachée peut-être que Tétaient les sept mille d'Israël , et à qui le nom de vérita- ble église convenait plus spécialement. Au sein de la cor- ruption et des périls d'un monde indigne d'eux, ils sui-
(1) Note du Tr. On s'apercevra ai&e'ment que cet article a éle' rc'diffé par un apôtre ze'le' de l'e'glise anglicane qui considère les doctrines du pro- testantisme comme les seules vraies, et qui, depuis Henri VIII, s'est maintenue en hostilité' permanente contre ce qu'elle nomme le papisme. Si c'eût e'te' un article de pure controverse , nous l'aurions e'carte' de notre recueil; mais les abus du cierge', dans le moyen âge , les progrès et l'ex- tiuction du protestantisme en Italie , appartiennent à l'histoire ; c'est unique- ment un précis historique du plus haut Inte'rèt que nous offrons au lecteur, n'entendant point, d'ailleurs, prendre sous notre propre responsabilité' les opinions de l'auteur en matière de foi. Ces opinions sont au reste conformes à celles de tous les écrivains protestans ; et les auteurs de la Revue Dri- TANNI()UE , s'ils n'étalent pas tolérans par principes, seraient obligés de l'être par la nature même de leur plan.
6 LA RLFORMATIO^ EjV ITALIE.
vaicnl, dans le rccueillemenl d'une vie obscure, les saintes voies où ils s'étaient engagés.
Il est diffieile de préciser jusqu'à quel point les crovances de celle secte différaient de celles du papisme avant la ré- formation. Ce n'est, en effet, que depuis lors qu'elles ont été connues. L'Église romaine se vante d'avoir subsisté, pendant plusieurs siècles , à l'abri des dissenlions inles- liues j ce qui à la vérité n'était pas difficile, dans un tems où un joug de plomb pesait en tous lieux sur les cons- ciences. Il est rare que des hommes qui sont en avance de près d'un siècle sur la généralion qui les a vus naître, opèrent un changement durable dans le caractère de leurs contemporains. Des révolutions comme celle que Luther accomplit sont moins l'ouvrage d'un homme que celui des tems et des opinions. Plusieurs siècles avant sa naissance , et même dès les premiers âges du christianisme, il existait, dans le midi de la France , en Angleterre , dans les vallées des Alpes, en Calabre, en Bohême et même en Espagne , des sectes qui professaient des doctrines absolument sem- blables à celles de la réforme, et dont le levain a dii éten- dre sa fermentation sur toute l'Europe.
Cette propagation des idées, à travers Les ténèbres du moyen âge, n'a rien qui doive nous étonner. On suppose à tort que les relations entre les divers peuples sont d'origine moderne, et qu'il n'y a d'autre manière de les mettre en con- tact, à de longues dislances, que les grandes routes, les malles-postes, les canaux et les bateaux à vapeur. Ce que le génie du commerce a produit de grand aujourd'hui par ces moyens, il l'opérait jadis par des voies différentes j et même, dans les limites où il était resserré, je ne sais si l'habitude prise par les marchands des divers pays du se donner rendez-vous pour quinze ou vingt jours, sur certains points du globe où se tenaient les grandes foires, et où des plaines incultes offraient par enchantement l'aspect des cités
LA llLFOr.MATIO^; T.y ITAI-ITl. j
les plus populeuses et les mieux gouvernées, u\ rassem- blait pas beaucoup plus d'étrangers qu'on n'en voit dans tous les marchés et les bourses d'un pays , aujourd'hui que la rapide circulation des lettres , sous la sauve-garde de tous les gouvernemens , et l'établissement des banques , ont rendu presque partout inutiles des communications per- sonnelles entre les négocians. D'ailleurs, le trafic des reliques et des rosaires bénis n'était pas , dans ces vastes bazars , la spéculation la moins lucrative -, or , il arrivait que les acheteurs et ceux qui refusaient d'acheter se com- muniquaient les motifs de leur acquisition ou de leur refus, ee qui amenait de part et d'autre des professions de foi, et des explications sur le véritable sens des Écritures.
■Mais les excursions des pèlerins servaient plus encore que les voyages des marchands à mettre en rapport les di- vers peuples de TEurope. Le mérite des pèlerinages était en raison directe des distances à franchir pour les faire ^ et chaque contrée avait un lieu saint ouvert à la dévo- tion des fidèles de tous les pays. Une de nos plus anciennes ballades couronne en ces termes l'éloge d'une dame de Bath : « Elle avait été trois fois à Jérusalem , elle avait tra- versé plusieurs fleuves lointains , elle avait été à Rome et à Bologne, à Saint-Jacques en Galice et à Cologne. ))
Capitale du monde chrétien, Rome était fréquentée avee autant de zèle , comme siège de la vraie foi et source de toutes les dignités ecclésiastiques, qu'elle l'avait été lors- qu'elle commandait à l'univers par la toute-puissance de ses armes. A certaines époques solennelles , elle appelait dans son sein , comme Jérusakm , les chrétiens de tous les pays, et par eux la masse des idées se renouvelait sans cesse. On peut voir, dans les Contes de Cantorbéry et dans Erasme, quel esprit présidait à ces dévotes excursions, et quel parti en tiraient la faconde des pèlerins et l'avide cu- riosité de leurs auditeurs.
8 LA. nÉFOTlMATION EN ITALIE.
Ce n'est pas tout : le pape prétendait, sous divers pré- textes, au droit de conférer les bénéfices dans tous les états de la chrétienté. Aussi, voyait-on partout des prêtres ita- liens en correspondance suivie avec les amis qu'ils avaient laissés dans leur patrie. Les universités les plus célèbres rassemblaient leurs élèves des contrées les plus éloignées. Ainsi , au commencement du XYP siècle , il y avait à celle de Ferrare assez d'Anglais pour constituer un corps in- fluent. Les professeurs, surtout les plus célèbres, n'étaient point fixés irrévocablement dans tel pays, dans telle uni- versité ; ils transportaient de chaire en chaire les trésors de leur érudition, et ces mutations fréquentes étaient , à défaut de la presse, un nouveau véhicule pour les idées. Le latin étant la langue universelle des sciences, des let- tres et de la politique, la différence des idiomes de chaque pays n'entravait pas la diffusion des lumières. Les francs- maçons, sorte de tribu nomade, voyageant de contrées en contrées, marquaient, comme les patriarches, leurs sta- tions par des autels élevés au grand architecte de Vuni- \>ers , et sans doute aussi par quelques discussions en ma- tière de foi. Il est probable que les préventions défavora- bles dont ils étaient l'objet dans ces tems reculés, et qui, jusqu'à un certain point , existent encore, avaient leur source dans la supposition , aujourd'hui manifestement erronée, qu'ils étaient des propagateurs d'hérésies. Le cé- lèbre Jean de Gand, protecteur de Wickleff (i), fut aussi le leur. En outre les ménestrels, courant d'abbayes en ab- bayes, de hameaux en hameaux, contaient partout leurs aventures ou celles des voyageurs qu'ils avaient rencontrés aux moines et aux paysans, avides de nouvelles comme tous les peuples qui ne lisent point -, et les mendians de profcs-
(i) Jean Wicklefl", docteur de l'université d'Oxford, qui prêcha cl écrivit contre la souveraineté du pape, la transsubstantiation, et plusieurs autres (io{^nics de l'é^lise romaine.
LA BÉFOTIMATION EN ITALIE. g
sion , endossant la robe et le capuchon , comme ils pren- nent de nos jours la veste du matelot, couraient le pays par bandes aussi nombreuses que celles que Ton fut forcé de disperser et d'anéanlir, par la force des armes, en An- gleterre , lorsque la suppression des couvens força la plu- part des moines de se faire brigands pour avoir du pain.
C'est par tous ces moyens que plusieurs des maximes religieuses dont la réformation fit un corps de doctrine s'étaient déjà répandues, avec plus ou moins de succès, dans une grande partie de l'Europe catholique : aussi l'of- fice de Luther fut-il moins de créer que de mettre en ac- tion l'esprit de révolte contre le papisme.
On regarde en général Wickleff comme le précurseur de Huss, et Huss comme celui de Luther-, mais Wickleff lui- même n'a du être que le représentant d'une partie de ses compatriotes et l'organe d'opinions dont la manifestation eût entraîné de trop funestes conséquences. Il ne croyait ni à la souveraineté spirituelle du pape, ni à la transsubstan- tiation, ni au monopole que s'attribuait le clergé sur les Saintes-Ecritures. Mais, loin que ses doctrines fussent en opposition avec les idées religieuses de ses compatriotes , nous lisons dans les annales de l'Angleterre que, lorsqu'il fut traduit devant les évéques rassemblés en concile à Lam- beth, le peuple demanda à grands cris qu'il fût mis hors de cause ^ ses adeptes parcouraient les comtés , préchant ces mêmes doctrines, non-seulement dans les églises et dans les cimetières, mais encore dans les foires et mar- chés, au grand scandale des catlwliques , disent les chro- niques du tems.
Knyghton, historien contemporain, ne se fait pas scru- pule de dire : Vous ne rencontrez pas deux personnes dont l'une ne soit disciple de Wickleff. Ce dernier assurait même que le tiers du clergé de son tems pensait comme lui sur le
lO LA UÉFORMATION EN ITALIE.
mystère de la c-ène de Notre-Scigneur, el paraissait disposé à soutenir cette doctrine au péril de sa vie. Ceci n'a rien qui doive surprendre. En effet , quelques siècles avant que AVicklcff eut traduit le Nouveau-Teslainent , on avait tra- duit en saxon certaines portions de l'Evangile pour ïédijî- calion des simples qui ne connaissaient pas d'autre langue. Des opinions analogues aux siennes s'étaient d'ailleurs ma- nifestées en Bohème, et ses ouvrages y avaient produit un grand effet, s'il faut en juger parla sévérité avec laquelle on les frappa tout d'abord d'interdiction. Les Albigeois, que saint Dominique soumit dans la suite aux tortures de l'Inquisition , dont il est le fondateur , avaient été anathé- matisés par les canons de l'église et les prédications de saint Bernard. Yers la même époque, Pierre Valdo (qui a donné son nom à la secte des Yaudois ) proclamait à Lyon des doctrines dont le succès appela les foudres de Rome, et, depuis les tems les plus reculés, les gorges des Alpes étaient peuplées d'une race de montagnards intrépides dont l'isolement mettait la foi à l'abri de toute altération. On s'occupe, en ce moment, de recueillir des documens au- thentiques sur les rapports de leurs maximes avec celles du protestantisme. Reynerius, ouReignier, l'ennemi de cette secte , mais dont le témoignage n'en est pas moins digne de foi , atteste qu'elle ne croyait point à d'autres miracles que ceux de Jésus-Christ, et rejetait l'extréme-onction , les of- frandes pour les morts , et les dogmes de la transsubstantia- tion , du purgatoire et de l'invocation des saints. Il est vrai qu'il osa accuser sa morale \ mais l'arme de la calomnie a été de tout lems employée par les religions dominantes qui ont cherché à flétrir les cultes nouveaux dont elles redou- taient les progrès. En pareil cas, pour confondre les accu- sateurs, on n'a qu'à les confronter et à signaler leurs con- tradictions.
LA RÉFORMATION EN ITALIE. II
Une pièce importante de ce débat est un écrit vau- dois publié vers l'an iioo , sous le nom de la Nohla Lejcon { la Noble Leçon) et dont Tauthenticité n'a jamais été con- testée. Il a pour objet de prescrire Fobservation des dix commandemens du deutéronome, y compris celui de ne pas sacrifier aux idoles. On y remarque l'obligation de mé- diter les Saintes-Ecritures , d'inyoquer la trinité -, mais on n'y lit pas un mot sur l'inyocation des saints ni de la % ierge. L'on y enseigne que la confession auriculaire et l'absolution des prêtres n'ont aucune efficacité, attendu qu'il n'appartient qu'à Dieu de pardonner nos fautes.
En i3;o, les Yaudois qui babitaient les yallées de Pra- gela, dans le Haut-Piémont, se trouvant trop resserrés dans leur enceinte , envoyèrent une colonie en Italie. Elle se fixa dans un canton inculte de la Calabre. En peu de tems ce territoire prit une nouvelle physionomie : des villages s'élevèrent de tous cotés ^ les coteaux se couvrirent de vi- gnobles , les vallons de guérets et de prairies. Cette prospé- rité excita l'envie des paysans du voisinage, qu'irritait d'ail- leurs le contraste que faisaient, avec la grossièreté de leurs mœurs, la continence et la sobriété de ces religionnaires. Les prêtres eux-mêmes, dont les dîmes étaient mieux payées, cédant à la voix de l'intérêt, cessèrent de troubler leur sé- curité. La colonie s'accrut bientôt de tous les réfugiés qui fuyaient les persécutions dont les \ audois étaient victimes en France et dans le Piémont. Elle continua de prospé- rer jusqu'au moment où le parti réformé succomba en Italie, et, après deux siècles d'existence, elle fut lâche- ment exterminée.
Quelque jaloux que fût le clergé du droit exclusif quil s'arrogeait d'expliquer l'Ecriture-Sainle, on observe que, dès le XIV^ siècle, on en faisait circuler, en Italie, plu- sieurs traductions empreintes de cet esprit d'examen dont
12
LA REFORMATION EN ITALIE.
nous explorons les traces. Celle de Malerni , moine de Tordre des camaldules, imprimée à Venise, en i47 15 n'eut pas moins de neuf éditions, dans les trente ans qui en sui- virent la publication. Enfin rétablissement et le maintien de l'Inquisition , dont Tobjet spécial était d'anéantir toute liberté d'opinion en matière de foi, prouvent que , dès son origine, il existait une opposition formidable contre les dogmes de l'Eglise romaine.
Aussi, le premier poète italien dont les écrits soient parvenus jusqu'à nous, le Dante, dit-il dans sa revue de l'enfer, que le quartier des. hérétiques est plus peuplé qu'on ne le pense vulgairement :
Qui son gll eresîarche Co' lor segnaci d'ogni setta ; e molto Pth che non crcdi , son le tombe carche.
( Inferno , liv. IX. )
Les doctrines appelées hérétiques se montraient donc toujours prêtes à combattre et à renverser le papisme , et n'attendaient qu'une crise favorable et un chef intrépide. Il est cependant probable que cette crise ne se serait manifestée que fort tard , si les germes de corruption que l'Eglise ro- maine recelait dans son sein n'avaient porté leur fruit. C'est d'elle qu'on pouvait dire : Tout ton mal vient de toi , ô Israël l La conduite des deux clergés séculier et régulier était, pour les peuples, un objet de dégoût et de mépris , et ils soupiraient après les jours où elle serait frappée d'une réprobation solennelle. Pour se convaincre de cette vérité , on n'a qu'à lire, avec quelque réflexion, les poètes, les conteurs de l'Italie, qui vivaient à l'époque où le papisme comblait la mesure de l'iniquité. Nous signalons ces deux classes d'écrivains, pnrce que leurs écrits portent l'em- prcinlc des opinions de leur siècle. Quant aux auteurs des
mol il;
LA 1\ÉFOHMATIO]N" E>" ITALIE. |3
routes, nous nous bornerons à remarquer qu'ils choisissent presque toujours dans les monastères ou chez les moines les héros des aventures ridicules, libertines ou odieuses. Les poètes sont plus dignes de fixer notre attention.
A leur tète figure le Dante. Dans une édition récente d« sa Dwiiia Commedia , publiée et commentée par M. Ro- setti, le commentateur prétend que ce poème, véritable complot gibelin , n'est qu'un tissu d'allusions politiques , sans rapport avec les opinions religieuses du tems 5 qu'il attaque Ve p»ape , comme chef du parti guelfe et non comme chef de l'Eglise, et n'offre qu'une phraséologie maçonni- que dont les initiés ont seuls la clef. Ainsi, quand le poète écrit amor ^ ce mot, par inversion, signifie Roma. S'il écrit amore , il faut lire, en coupant le mot en deux, rt77io/'e (j'aime le roi, ou la royauté), ce qui signifie : Rome ne peut prospérer que sous le sceptre des empereurs. ( On sait que, dans les querelles qui désolèrent si long-tems l'Italie et le reste de la chrétienté , entre le sacerdoce et l'empire , le parti gibelin était attaché à ce dernier.) Le mot donna ou madonna signifie puissance impériale , le mot sainte^ la personne de l'empereur. /77zo7ti( les morts) sont les Guelfes, i vivi (les vivans) sont les Gibelins. Enfin , la préoccupation du commentateur est poussée au point que, dans le magnifique passage où le poète décrit l'ap- proche de l'ange de la cité de Dieu, et le compare au vent impétueux qui vient frapper la forêt que l'incendie dé- vore , il voit une allusion directe à l'empereur Hejui , et lit même son nom en toutes lettres dans les trois vers qui suivent :
»'
Non altrlmenti è fatlo che d'un xenio
Impetuoso per gh avversi ardor/,
6'he fier la selva , e senz alcun rattento.
Nous avons indiqué en italiques les lettres qui forment le mot italien Fnrico.
12 LA REFORMATION EN ITALIE.
nous explorons les traces. Celle de Malerni , moine de l'ordre des camaldules, imprimée à Venise, en i^'ji, n'eut pas moins de neuf éditions, dans les trente ans qui en sui- virent la publication. Enfin l'établissement et le maintien de l'Inquisition , dont Tobjet spécial était d'anéantir toute liberté d'opinion en matière de foi, prouvent que , dès son origine, il existait une opposition formidable contre les dogmes de l'Eglise romaine.
Aussi, le premier poète italien dont les écrits soient parvenus jusqu'à nous, le Dante, dit-il dans sa revue de l'enfer^ que le quartier des. hérétiques est plus peuplé qu'on ne le pense vulgairement :
Qui son gll eresîarche Co' lor segnaci d'ogni setta ; e molto Piii che non credi , son le tombe carche.
( Inferno , llv. IX. )
Les doctrines appelées hérétiques se montraient donc toujours prêtes à combattre et à renverser le papisme , et n'attendaient qu'une crise feivorable et un chef intrépide. Il est cependant probable que cette crise ne se serait manifestée que fort tard , si les germes de corruption que l'Eglise ro- maine recelait dans son sein n'avaient porté leur fruit. C'est d'elle qu'on pouvait dire : Tout ton mal vient de toi ^ ô Israël l La conduite des deux clergés séculier et régulier était, pour les peuples, un objet de dégoût et de mépris , et ils soupiraient après les jours où elle serait frappée d'une réprobation solennelle. Pour se convaincre de celte vérité , on n'a qu'à lire, avec quelque réflexion, les poètes, îe.s conteurs de l'Italie, qui vivaient à l'époque où le papisme comblait la mesure de l'iniquité. Nous signalons ces deux classes d'écrivains, parce que leurs écrits portent l'em- preinte des opinions de leur siècle. Quant aux auteurs des
LA RÉFORMATIOIN' K^■ ITALIE. l3
coules, nous nous bornerons à remarquer c{u'ils choisissent presque toujours dans les monastères ou chez les moines les héros des aventures ridicules , libertines ou odieuses. Les poètes sont plus dignes de fixer notre attention.
A leur tète figure le Dante. Dans une édition récente de sa Dwina Cominedia , publiée et commentée par M. Ro- setti , le commentateur prétend que ce poème , véritable complot gibelin , n'est qu'un tissu d'allusions politiques, sans rapport avec les opinions religieuses du lems ; qu'il attaque >e j^pe , comme chef du parti guelfe et non comme chef de l'Église, et n'offre qu'une phraséologie maçonni- que dont les initiés ont seuls la clef. Ainsi, quand le poète écrit rt77zor, ce mot, par inversion, signifie Roma. S'il écrit amore , il faut lire, en coupant le mot en deux, amore (j'aime le roi , ou la royauté), ce qui signifie : Rome ne peut prospérer que sous le sceptre des empereurs. ( On sait que, dans les querelles qui désolèrent si long-lems l'Italie et le reste de la chrétienté , entre le sacerdoce et l'empire , le parti gibelin était attaché à ce dernier.) Le mot donna ou madonna signifie puissance impériale , le mot sainte^ la personne de l'empereur. //7Z07ti( les morts) sont les Guelfes, i vivi (les vivans) sont les Gibelins. Enfin , la préoccupation du commentateur est poussée au point que, dans le magnifique passage où le poète décrit l'ap- proche de l'ange de la cité de Dieu, et le compare au vent impétueux qui vient frapper la forêt que l'incendie dé- vore, il voit une allusion directe à l'empereur Henii , et lit même son nom en toutes lettres dans les trois vers qui suivent :
Non altrimcnti è fatio che d'un \en\o
Impetuoso per gli avversi ardor/,
C\ït fier la selva , e senz alcun rattento.
Nous avons indiqué en italiques les lettres qui forment le mot italien F.nrico.
I /, LA RÉFOllMATlON EN ITALIE.
Il faut le (lire à la gloire du Dante, il 5iij7z07'Rosclli s'est complètement fourvoyé. Non , le Michel-Ange de la poésie n'a point ainsi rabaissé sa comédie , divine en effet, aux étroites proportions du logogriplie. Ce ne sont pas des énigmes et de puérils jeux de mots que nous avons admirés dans son chef-d'œuvre, et ce n'est point ainsi que les pré- cieuses annotations d'Alfieri et le savant commentaire de Biagioli nous avaient appris à le connaître. C'est un blas- phème contre le génie, de supposer que ces sublimes ta- bleaux d'un monde invisible, cet enfer, ce purgatoire, ce paradis, soient l'emblème des factions qui déchiraient rilalie.
Le Dante est , dans son poème , plus théologien que po- Htique. Il admet les dogmes de l'Église romaine, mais il tonne contre ses abus et sa corruption. Il place dans son enfer les hérétiques, et les croit dignes en effet des flam- mes éternelles. Il met en sentinelle , à l'entrée du purga- toire, un ange sous les ordres de St. -Pierre, et ajoute que l'apôtreluia recommandé d'être sévère sur l'admission d'une foule de mécréans (^Purg.j xi). Il croit que le devoir des vivans est de prier pour les âmes qui peuplent ce séjour d'épreuves, et nous montre celles-ci occupées à intercéder pour les amis qu'elles ont laissés sur la terre (Purg. , xi). Mais il dit ailleurs , contre l'opinion intéressée des tra- ficansde prières, que le purgatoire est presque désert, que ses portes crient sur leurs gonds rouilles (Piwg.^ x). Il ne conteste pas aux prêtres le droit de donner l'absolution , mais il la déclare sans effet , si la contrition ne l'accom- pagne , et il place parmi les damnés un pauvre frère qui avait commis un crime à l'instigation du pape , et auquel le Saint Père avait néanmoins ouvert les portes du ciel ( Enfer, chant xxvii''). Son ame s'enflamme à l'idée d'une croisade, et il reproche amèrement aux papes et aux cardi- naux de couver leurs trésors , tandis que les lieux saints
LA KÉFORMATIO^ EN ITALIE. l5
sont la proie des Infidèles [Paradis , chant ix ). Il res- pecte les droits spirituels du clergé, mais il a en horreur le pouvoir temporel de l'Eglise ^ c'est à ce pouvoir qu'il allri- hue sa dégradation religieuse (Puj-g. , chant xxvi^). C'est sur lui qu'il épanche les flots de sa colère -, il le signale comme le destructeur de son pavs, etc. ( Purg. , x) , et peuple l'enfer de ses ministres. Ici, ils se lancent des ro- chers j là, ils sont précipités, la tète en bas, dans des chau- dières de poix bouillante -, plus loin , on les voit enchaînés dans une prison de glace, ou roulant du sommet d'une py- ramide de flammes qui tournoie autour d'eux , ou suc- combant sous d'énormes fardeaux.
Ainsi que le Dante , Pétrarque était bon catholique ^ il avait même reçu les premiers ordres-, dans son habitation d'Arqua , il bâtit une chapelle dédiée à la Vierge 5 mais il tonne contre les excès du clergé de son tems , et contre la papauté, dont le siège était alors à Avignon. Dans le sonnet cv (i), le poète appelle sur elle le feu du ciel, a C'est un nid de perfidies où couvent tous les maux qui pleuvent sur l'humanité -, Belzébut siège au milieu de ses prélats déhontés. » Dans le sonnet cvi, on lit que Bac- clîus et Vénus sont les seules divinités de la nouvelle Ba- bvlone. Le sonnet cvii n'est pas moins remarquable, te voici en entier :
Fontana dl dolore, albergo d'ira , Scola d'errori e tempîo d'eresia , Gia Pioma or Babilonia falsa c ria, Per cui tanto si piagne e si sospira.
O fucina d'inganni ! o prigion dira, Ove '1 ben more e '1 mal si nutre e cria , Di vivi inferno , un gran inlracol fia Se Christo teco al fine non s'adira.
(i) Voyez rédition de iSii, avec le commentaire de ÏNI. Bi.igioli tome \^^.
iG LV IIÉFOIIMATIOK EN ITALIE.
Fondata in casta cil umil poveitate, Coritr' a' tiioi fondatorl alzi le corna , Putta sfacciata, e dov' haï posto spene?
Negli adultcri tuoi ? nellc mal nate Rlcchezze tante? or Constantin non torna ; Ma tolga il mondo triste chl 'l sostene (i).
Une indignation plus violente encore se manifeste dans quelques lettres de Pétrarque.
Il n'y a pas loin de cet état d'exaspération contre tanf d'abus, à la recherche des causes qui les ont produits , cl des moyens d'y remédier. Cependant la corruption subsis- tant toujours , on finit par la combattre avec l'arme du ri- dicule, et malheureusement ses traits s'égarèrent sur la religion elle-même \ une froide incrédulité , une légèreté désespérante, un licencieux badinage sur les sujets les plus sacrés , succédèrent à la vertueuse horreur qu'avait d'abord inspirée la prostitution des bienfaits religieux, auxquels ou attachait tant de prix.
Dès le quinzième siècle , il était de mode , dans les nou- velles et les romans, de mettre toutes les fictions mons- trueuses que l'auteur iniaginait sous la garantie du té- moignage d'un archevêque Turpin , et d'invoquer, d'un ton gravement plaisant , l'autorité de ce personnage , sans doute fabuleux. Pulci, dans son poème intitulé
(i) « Source de douleur! se'jour du courroux ce'leste ! école de l'erretr-, temple de The're'sie ; toi que jadis on appelait Rome et qui n'es plus au- jourd'hui que l'impie et perfide Babylone !
>» Atelier de fraudes, tombeau de la vertu, berceau des vices, enfer des vîvans! tu as enfin lassé la clémence céleste.
» !Née dans une humble et chaste pauvreté, va, maintenant, comme une vile prostituée, rompre en visière à tes bienfaiteurs! et où donc as-tu placé ton espoir?
>» Est ce dans tes adultères? dans (es richesses mal acquises? Reprends, Constantin , tes funestes présens ; ou que du moins l'Eternel accorde à ce triste univers, (pj'il tient dans ses mains , la faveur de l'anéantir. »
LA TlEFOrvM.VTION E?; ITALIE. T-
Morgante Maggiore , commonce tous ses chants par une pieuse invocation à quelque saint ^ puis, surviennent une foule d'applications burlesques du style, des images et des doctrines de rÉcrilure , qui démentent ce dévot préambule, et qui révèlent l'incrédulité de Fauteur comme celle de son public. Pulci n'était peut-èlre pas décidément un impie, mais il était du nombre de ces milliers de clercs et de laïques qui prenaient pour devise : uwe la bagatelle l et dansaient imprudemment sur le tombeau de leur foi. Le même esprit de légèreté, sur les plus graves sujets, se mani- feste chez les poètes qui lui succédèrent. Nous citerons en- tr'autres TArioste et Berni : ils se montrent tous deux ca- tholiques , mais ils ne perdent pas une occasion de rire aux dépens du clergé , sans réfléchir sur la portée de leurs sail- lies. En voici deux exemples :
L'Astolphe àw. Roland fin leiix grimpe dans la lune, et il y aperçoit, entr'autres choses, un océan... de potages. Il demande l'explication de ce phénomène au docteur qui l'accompagne: « Vous voyez-là, répond celui-ci, la masse des aumônes que tout bon chrétien laisse après lui pour assurer le salut de son ame. » Astolphe voit ensuite une haute montagne couverte de fleurs, dont le parfum se dis- sipe à l'instant et fait place aune odeur fétide : « Sauf votre respect, lui dit son guide, voilà le cadeau que Constantin a fait aubonSilvestre (i). » (^Orlaiido forioso, ch. xxxiv.)
Dans le chant xxiv^, l'archange JMichel reçoit Tordre de voler à la recherche du silence, auxiliaire indispensable de quelques recrues qui se rendent à Paris, pour grossir Tarmée de la chrétienté, et qui désirent vivement que l'ennemi ne se doute pas de leur approche.
« Michel , méditant sur l'asile où il trouverait le silence,
(i) La puissance leirporellc accordée par l'empereur Constantin au pape Silveslre,
XVII. 2
j8 la RÉFOllMATION EN ITALIE.
décide que ce ne peut élre qu'une église ou un monastère , où les frères se livrent au recueillement de la vie contempla- tive. Là , je trouverai aussi le calme, la charité, la concorde. Il agite donc, avec impatience, ses ailes d'or, et fend les airs comme la flèche rapide. Bientôt Taiguille d'un clocher go- thique, à Tangle d'un vaste et sombre bâtiment dont la cour intérieure est bordée d'arceaux en ogive, signale à ses yeux un monastère. A peine en a-t-il touché le seuil , ô désappointement funeste! ce n'est pas le silence qui vient frapper ses regards étonnés, ce n'est pas le recueillement: la piété, la paix, l'amour divin , les innocens loisirs, l'hu- milité, habitèrent jadis ce séjour-, ils ont fui pour jamais. A leur place, l'orgueil, la paresse, la luxure, l'emporte- ment , l'avarice , y tiennent leur affreuse cour.
» En passant en revue cette hideuse légion , l'archange aperçoit la discorde dans ses rangs. Il la cherchait par ordre du Tout-Puissant, afin de la lancer sur l'armée ennemie ; mais il espérait ne la rencontrer que dans l'a- bîme des enfers. Eût-on deviné qu'elle établirait son trône dans le sanctuaire, et y tiendrait ses assises entre l'beure des matines et celle de l'office divin ? »
L'Arioste et Berni moururent, l'un dix ans, l'autre treize ans avant Luther. Le genre de leurs écrits était si familier au public de leur tems , et on les croyait si peu dangereux, qu'ils parurent avec l'approbalion du pape et des prélals.
Erasme ne se doutait pas non plus de l'influence de ses Colloques; , sur les intérêts temporels de l'Église. Ce savant célèbre faisait ses délices des piquantes railleries dans les- quelles il excellait , et, sous ce rapport, les moines étaient pour lui des sujets précieux. Ce fut là, probablement, ce qui le décida dans le choix de ses Colloques. Il était trop timide, trop jaloux de ses loisirs, trop- empressé de gagner la fa- veur des grands, et il possédait des idées trop vagues sur les doctrines et la discipline de l'Église, pour s'embarquer
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LA. KÉFORMATION EN ITALIE. If)
de gaîté de cœur sur cet océan de troubles que la réfor- mation allait soulever. Comme une recrue qu'on mène au feu pour la première fois , il ferme les veux en pressant la détente de son arme, et recule au bruit de l'explosion. Quoi de plus étonnant que cette apparente sécurité, cette apatbique indifférence, au milieu des présages funestes qui annonçaient les dangers de l'Eglise ? Des membres du clergé, poètes ou nouvellistes , proclamaient leurs sinistres au- gures, comme si les maux qu'ils annonçaient ne devaient pas retomber sur eux-mêmes. Voici , je crois , l'explication de ce phénomène. Avant la découverte de limprimerie, les moines étaient les seuls possesseurs des manuscrits, et, quelles qu'en fussent les doctrines, ils ne les considéraient que comme des jeux d'esprit destinés à charmer les ennuis du cloître. La puissance de la presse ne fut pas sentie immédiatement par le clergé , qui formait la masse des lec- teurs ^ c'était un nouveau sens dont l'expérience pouvait seule révéler les fonctions. Le pape , qui avait si long-tems régné en despote sur les consciences, devait supposer qu^un instrument comme la presse n'échapperait pas à sa direc- tion. Il n'espérait pas sans doute qu'elle deviendrait comme le langage hiéroglvphiqae des Egvptiens , la propriété exclusive du clergé , mais il se flattait de s'en servir avec succès pour étendre et consolider son pouvoir. Il est certain, toutefois, que, sous l'empire des règlemens le plus sévère- ment restrictifs, la presse propagea les écrits les plus hostiles contre les prétentions de l'Eglise. Leur libre circulation ne doit être attribuée ni à l indifférence religieuse, ni à l'ignorance des censeurs, mais à l'idée qu'ils n'offraient aucun danger, et à la persuasion qu'une autorité qui n'a jamais été contestée est à jamais incontestable.
Voici la vérité : les principes vitaux de la religion , la vi- gilance et le zèle, s'étaient anéantis. Lp monde religieux
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l8 LA REFOUMATTON EN ITALIE.
décide que ce ne peut elre qu'une église ou un monastère , où les frères se livrent au recueillement delà vie contempla- tive. Là , je trouverai aussi le calme, la charité, la concorde. Il agile donc, avec impatience, ses ailes d'or, et fend les airs comme la flèche rapide. Bientôt Taiguille d'un clocher go- thique, à l'angle d'un vaste et sombre bâtiment dont la cour intérieure est bordée d'arceaux en ogive, signale à ses yeux un monastère. A peine en a-t-il touché le seuil , u désappointement funeste! ce n'est pas le silence qui vient frapper ses regards étonnés, ce n'est pas le recueillement: la piété, la paix, l'amour divin, les innocens loisirs, l'hu- milité, habitèrent jadis ce séjour; ils ont fui pour jamais. A leur place, l'orgueil, la paresse, la luxure, l'emporte- ment , l'avarice , y tiennent leur affreuse cour.
» En passant en revue cette hideuse légion , l'archange aperçoit la discorde dans ses rangs. Il la cherchait par ordre du Tout-Puissant, afin de la lancer sur l'armée ennemie -, mais il espérait ne la rencontrer que dans l'a- bîme des enfers. Eût-on deviné qu'elle établirait son trône dans le sanctuaire, et y tiendrait ses assises entre Theure des matines et celle de l'office divin ? »
L'AriosteetBerni moururent, l'un dix ans, Tautre treize ans avant Luther. Le genre de leurs écrits était si familier au public de leur tems , et on les croyait si peu dangereux, qu'ils parui^nt avec l'approbation du pape et des prélats.
Erasme ne se doutait pas non plus de l'influence de ses Cnlloqups , sur les intérêts temporels de l'Eglise . Ce savant célèbre faisait ses délices des piquantes railleries dans les- quelles il excellait , et, sous ce rapport, les moines étaient pour lui des sujets précieux. Ce fut là, probablement, ce qui le décida dans le choix de ses Colloques. Il était trop timide, trop jaloux de ses loisirs, trop- empressé de gagner la fa- veur des grands, et il possédait des idées trop vagues sur les doctrines et la discipline de l'Eglise, pour s'embarquer
LA RÉFORMATION EN ITALIE. If)
de gaîté de cœur sur cet océan de troubles que la réfor- mation allait soulever. Comme une recrue qu'on mène au feu pour la première fois , il ferme les yeux en pressant la détente de son arme, et recule au bruit de l'explosion. Quoi de plus étonnant que cette apparente sécurité, cette apalbique indifférence, au milieu des présages funestes qui annonçaient les dangers de l'Eglise ? Des membres du cierge, poètes ou nouvellistes , proclamaient leurs sinistres au- gures, comme si les maux qu'ils annonçaient ne devaient pas retomber sur eux-mêmes. Voici , je crois , l'explication de ce phénomène. Avant la découverte de l'imprimerie, les moines étaient les seuls possesseurs des manuscrits, et, quelles qu'en fussent les doctrines, ils ne les considéraient que comme des jeux d'esprit destinés à charmer les ennuis du cloître. La puissance de la presse ne fut pas sentie immédiatement par le clergé , qui formait la masse des lec- teurs \ c'était un nouveau sens dont l'expérience pouvait seule révéler les fonctions. Le pape , qui avait si long-tems régné en despote sur les consciences, devait supposer qu\in instrument comme la presse n'échapperait pas à sa direc- tion. Il n'espérait pas sans doute qu'elle deviendrait comme le langage hiéroglyphique des Egyptiens, la propriélf- exclusive du clergé, mais il se flattait de s'en servir avec succès pour étendre et consolider son pouvoir. Il est certain, toutefois, que, sous l'empire des règlemens le plus sévère- ment restrictifs, la presse propagea les écrits les plus hostiles contre les prétentions de l'Eglise. Leur libre circulation ne doit être attribuée ni à l'indifTérence religieuse, ni à l'ignorance des censeurs, mais à Tidée qu'ils n'offraient aucun danger, et à la persuasion qu'une autorité qui n'a jamais été contestée est à jamais incontestable.
Voici la vérité : les principes vitaux de la religion , la vi- gilance et le zèle, s'étaient anéantis. Le monde religieux
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n'olFrait qu'un ihéâtrc où les deux sexes jouaient leur rôle. Ce nV'tail plus avec le cœur qu'on invoquait l'Eternel , mais avec des orgues et un orchestre chèrement payés ^ on ne célébrait plus le saint sacrifice avec la robe d'in- nocence, mais avec des chasubles de brocart, surchargées de galons et de broderies-, les prières étaient sans effet, si elles ne s'élevaient à travers des nuées d'encens-, on ne x:herchait plus, dans le temple du Seigneur, ce demi-jour si favorable au recueillement-, on voulait y être ébloui et distrait par l'éclat de mille cierges , donnés par les fidèles et dont le clergé faisait son profit. Dans les jours consacrés au jeûne , on s'abstenait de la chair des animaux ^ mais les tables se couvraient de poissons, de légumes, de fruits , de sucreries de toute espèce , préparés et servis avec tous les raffinemens du luxe. Lorsque la grande crise allait écla- ter, quand le bélier sondait les murs de la ville, nous voyons un pape en admiration devant le génie du frère Martin (Luther), (c C'est, disait-il, un aventurier qui cherche à faire fortune par son esprit. » Nous le voyons courre le cerf dans les bois d'Ostie, en costume de chasseur, et, au retour, admettre à sa table des bouffons chargés de le di- vertir, en discutant sur l'immortalité de l'ame -, semblable à ce patriarche de Constantinople, qui quittait l'autel de Sainte-Sophie, et interrompait la messe, pour aller, re- vêtu de ses habits pontificaux , assister dans ses écuries à la naissance d'un poulain.
C'est dans cette indolente sécurité , et au sein de ces plai- sirs , que le clergé vit Luther apparaître. Ce personnage extraordinaire eût exercé, à toutes les époques, une grande influence sur les esprits. Néanmoins , si l'Eglise avait eu la sagesse de réformer elle-même certaines de ses pratiques , il est probable qu'il n'eût pas été entrahié à examiner à fond ses doctrines, quelqu'erronées qu'elles parussent alors
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aux hommes éclairés comme lui. Son zèle se sérail borné à la fondalion d'un ordre religieux , et un nouveau St. -Mar- tin eût figuré dans le calendrier, entre St. -Benoît et St. -Fran- çois-d' Assises. Il est évident que les doctrines de l'Église qui nous paraissent les plus choquantes, à nous autres an- glicans, n'auraient pas été une pierre d'achoppement pour le moine Martin du commencement du seizième siècle : car l'homme qui prêcha le dogme de la consubstantiation ne pouvait être scandalisé de celui de la transsubstantiation^ mais le trafic des indulgences , mais les excès des deux clergés , mais les scandales de la cour de Rome, dont il avait été le témoin , mirent en fermentation ses idées et en firent jaillir la lumière.
Déjà l'on avait reconnu la nécessité de la réforme de tant d'abus, et le concile de Pise avait été convoqué pour y re- médier : malheureusement il ne se livra pas à une tâche si importante avec le zèle et la fermeté qu'elle exigeait -, s'il l'eût fait , l'Église romaine aurait respiré en paix pendant quel- ques années encore, jusqu'à ce qu'une connaissance plus approfondie des livres saints eût dévoilé Terreur de ses doc- trines. On ne peut, en effet, disconvenir que le christia- nisme n'eût de puissans moyens d'agir sur les esprits-, plu- sieurs de ses pratiques étaient admirablement imaginées pour exciter la dévotion ^ et il en est de conformes aux habitudes et aux sentimens du peuple, qu'on aurait dû conserver en An- gleterre. Elles survécurent chez nous à la réforme, mais non à la fureur des fanatiques du dix-septième siècle , qui exé- craient tout ce qui offrait une apparence de papisme, ni à la légèreté irreligieuse de la génération suivante. Nous re- grettons ces bons vieux usages de nos aïeux de la fin du quinzième et du commencement du seizième siècle , lorsque les fidèles inscrivaient, sur la porte de leurs maisons, des maximes de l'Écriture , et dessinaient ou gravaient sur leurs meubles des sujets de la Bible : donnaient tous les
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soirs à leurs enfans la bénédiction paternelle, et parcou- raient les campagnes , remerciant le ciel de la fertilité de leurs champs, secourant les pauvres, conciliant les plai- deurs ^ lorsque le pasteur appelait les grâces célestes sur tous ceux qu'il rencontrait sur sa route 5 lorsque l'église restait ouverte tout le jour, et que le laboureur, au bruit de l'ai- rain religieux, quittait sa charrue pour joindre ses prières à celles du prêtre. Cette observation fera naître un sourire dédaigneux sur les lèvres de tel de nos lecteurs qui pense que le cultivateur n'est qu'un rouage d'une machine in- dustrielle , qui doit, sans s'arrêter, opérer sur nos champs, comme les machines à vapeur opèrent sur nos canaux et dans nos fabriques : dans ce cas je lui demande humble- ment pardon de mes regrets, et je continue. Les intrigues du pape firent avorter le concile de Pise, et, loin de for- tifier l'Église, ce concile offrit à Luther une arme nou- velle^ l'aveu de ses propres abus.
Vers cette époque, l'influence de la presse commençait à se faire sentir, et il pleuvait , contre le catholicisme , des pamphlets , des catéchismes , des ballades , des carica- tures. Sur les murs des cabarets, on charbonnait des re- nards débitant un sermon